Je ne me souvenais pas avoir eu si mal au ventre auparavant. Ce matin, je n'avais pas cours. Cependant, ne pouvant adresser la parole à ma maman, je suis partie, comme d'habitude à 8h00 et j'ai lu, recroquevillée sur une chaise dure et sinistre de la cafétéria. A 8h45, Manon est arrivée, les cheveux au vent. Elle portait une jolie tunique rouge qui faisait ressortir sa bouche cerise et ses boucles soyeuses. Nous avons attendu Céline, face l'une à l'autre, sans un mot, plongées dans notre Littérature. A 10h, j'ai découvert l'existence d'un labo photo, à côté des toilettes des filles, derrière une porte délabrée de mon lycée que j'avais toujours imaginé garder un placard à balais. Après plusieurs tentatives d'ouvrir une pellicule photo, avec les doigts, et dans le noir, les jurons ont fusé. Et les petits collégiens, dehors, devaient bien se demander d'où provenaient ces voix errantes et malpolies. Je suis passé quatre fois à l'infirmerie puis j'ai finis par mendier un doliprane auprès de Mme Raix qui m'a fait jurer de ne pas la dénoncer au cas où je tomberais majestueusement dans les pommes. Ce soir je n'enverrai pas de sms à ma voisine:
"Hey ma ponette, je prends SVT et tu prends maths?"
On a rendu nos livres cette après-midi. Je suis conviée à donner trois euros à ma chère école catho, le 3 juillet, pour une petite écorchure dans le bord droit de mon livre de chimie
"Papa, arrête de croire que les bonnes sœurs n'aiment pas le fric!"
Aujourd'hui, c'était plus simple: la classe au fond du couloir était vide. En dernière heure, Gaëlle est partie. Elle a claqué la porte très fort, les larmes aux yeux. Notre professeur ne comprend pas ce qu'il y a de mal à dire la vérité: "Essaie de gratter des points au bac, c'est ta seule solution. Les prépas, les écoles d'ingénieurs, tout ça, n'y pense plus". Les adultes ne comprennent rien. Le petit prince avait raison.
Aujourd'hui j'avais revêtu un sourire sincère, il me semble. J'aime bien ces gens. Notre photo. Nos paroles et parfois nos disputes instantanées. Je souriais malgré tout. Oui, je ne pleure plus. Je dors, avec des médicaments, mais je dors. J'entends ma mère qui parle dans son sommeil, qui me parle. Elle dit que ça va exploser. Je pense aussi. Je crois que c'est ça la vie: des grandes histoires qui s'étouffent en une poignée de temps, des petites amourettes qui se laissent flotter parce que les mots sont doux, parce que le soleil donne à ta peau une couleur enivrante, parce que... Parce qu'on ferme les yeux.